RÉVERSION
réversion fem. 1.- a. Action de régresser. b. Son effet.
2.- Retour d'une chose ou d'une personne à son état antérieur. 3.-
Développement anormal d'un organe rudimentaire qui en rappelle un autre
d'une espèce inférieure. 4.- gén. Mutation expérimentée par un individu
dans le sens inverse d'une mutation antérieure, constatée par le fait
qu'il y a retour au phénotype sauva-e inicial. 5.- gén. anthrop.
Atavisme.
6.- rhét. Permutation.
Diccionari de la Llengua Catalana.
Enciclopèdia Catalana. Barcelona 1995
réversion fém. Figure qui dans là rhétorique classique coïncide avec
l'hyperbate, la commutation, I'inversion, la régression, etc.
Actuellement, s'entend comme une forme d'antithèse, I'usage répété d'un
mot qui change partiellement de signification.
Diccionari de termes literaris de la Llengua Catalana
Edicions 62. Barcelona 1991
Notre réalité la plus immédiate, la plus évidente, le temps, est un
processus irréversible. Bien entendu, il y a d'autres mondes, d`autres
réalités, d'autres natures. Dans la nôtre, cependant, la flèche du temps
n'a qu'une seule direction et dessine une ligne.extrêmement claire,
inexorable: le roi de Thulé boit pour une dernière fois à la santé de
son aimée, morte. Puis il jette sa coupe de cristal. Plus d'aimée,
jamais. Plus jamais de coupe. Nous. ne pourrons pas revenir sur ce geste
qui brise la coupe, sur la jeunesse qui passe, sur le mot prononcé, sur
l'acte consommé.
Le temps n'est pas réversible. Nous pouvons certes le nier, mais non l'
invertir. Nous avons précisément inventé les processus tels que
rectifier, révoquer, dévier, défaire, comme substituts, ou pis-aller, de
notre incapacité de régresser. Pour cela même, sans doute, les
réversions présentent-elles une telle importance dans les réalités
imaginaires, dans les géographies de la pensée, dans les images. Parce
que, biologique, génétique, anthropologique ou rhétorique, la réversion
est toujours un processus conceptuel, une brillante figure de la pensée.
'Retour d'une chose ou d'une personne à son état antérieur', 'retour au
phénotype sauvage inicial': ces définitions scientifiques que l'on
suppose transparentes et fonctionnelles, en apparence dépourvues de tout
ornement qui pourrait en troubler le sens, enferment l'idée nostalgique
de l'origine, le rêve d'un retour à l'état primitif, la recherche du
temps perdu, la possibilité d' entrevoir un, impossible chemin de
retour. Les réversions appartiennent à des réalités qui, non pas
physiques, sont étrangères à la structure temporelle du monde au sein
duquel nous vivons. C'est bien pour cela que leur pouvoir évocateur
-contradictoire et imprécis dans le cas de la biologie ou de la
génétique- s'incarne surtout dans le langage: la réversion linguistique
rend possible la figure poétique et 1'image visuelle.
C'est dans ce second sens que nous devons, comprendre le titre de
1'oeuvre d'Àlex Nogué et de Victor Sunyol. Reversions comprises comme
figures de la pensée, comme une sorte d'antithèse, dans lesquelles un
même concept -un mot- passe par différents contextes et, à mesure qu'il
les imprègne de son sens, en devient lui même imprègne; paradoxalement,
une sorte de "réversion irréversible", pourrait-on dire. Les réversions
ne doivent pas être considérées comme un .phénomène exclusivement
artistique ou comme un 'cultisme' rhétorique. Toutes les langues, des
plus rudimentaires aux plus subtiles, sont pleines de ces mots
réversibles et changeants selon le langage qui les entoure, selon leur
contexte.
Victor Sunyol projetait d'écrire au sujet des sculptures d'Àlex Nogué
pour une exposition de la -Nau Côclea- J'ignore de qui est partie l'idée
de renverser les rapports, mais je suis bien sûre que l`idée est née de
la conviction wittgensteinienne de l'impossibilité de 'parler d'art' du
dehors du phénomène artistique lui-même (vieille discussion qui, bien
que non résolue, a engendré jusqu'à ce jour beaucoup d'alternatives
intelligentes). C' est alors qu'Àlex suggéra quelques mots. Tous deux se
mirent au travail, non plus sur les sculptures, mais sur les mots
mêmes, pour produire des réversions: dessins et poèmes qui ne commentent
pas, n'illustrent pas, ne signalent pas, n'accompagnent pas, qui
existent tout simplement.
Le résultat, c'est curieux, récupère les nuances que l'on découvrait tapies derrière les définitions génétiques:
l'oeuvre s'est dépouillée et retourne à un état antérieur, plus
original, plus pur, plus dénudé. A cet état rêvé de sculptures qui
n'auraient pas subi l'effort du contrôle de la forme, la pesanteur de la
matière, le feu des soudures, la rouille de 1'humidité, là rouille des
heures; de poèmes qui ne seraient passés par les vicissitudes du lexique
et les servitudes du langage, par les filtres correcteurs, la rouille
de 1'oublié, la rouille des heures.
Ce petit livre est un grand défi: nés de quelques mots, des dessins et
des poèmes parcourent des paysages qui les transforment, les renversent.
Ce voyage les mène sans doute à un lieu original, inaccessible depuis
notre réalité physique Et voici que le langage entrebâille maintenant
les portes d'un espace nouveau où il nous invite: il est sauvage, au
sens le plus dénudé et le plus mental du mot.
Grimpons donc à la charrette et prenons la route. bans cet univers
réversible, le langage acquiert tout son sens et sa dignité la plus
haute: il instaure la réalité et la configure.
Àlex Nogué, Víctor Sunyol, Reversions, Nau Côclea,
Centre d'Art Art Contemporain Saint-Cyprien, 1996. ISBN 84-7602-986-1